Mémorial Dormans

 Le rempart contre l’oubli, sur Internet

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Sélection de textes

 

 

Zone de Texte: Autour de Dormans

 

 

 

 

 

 

Ce texte nous est gracieusement prêté par Philippe qui a retranscrit le texte d’origine avec un respect intégral, Une belle initiative, et un beau travail de mémoire. Merci !

 

Ce texte est issu des carnets de Marcel ERNIS, qui traversera toute la Grande Guerre, incorporé successivement au 71ème RI, 2ème RI puis au 8ème Génie.

 

Nous sommes en mai1918, au début de la deuxième bataille de la Marne.

 

 

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27 mai :

Notre repos est abrégé. Nous allons nous embarquer à Longueville où nous prenons le chemin de fer pour débarquer à Château-Thierry. De là, je pars en bicyclette jusqu'à Jaulgonne qui se trouve à 15 km. Une fois arrivé dans ce pays, nous apprenons que les boches nous ont enfoncés devant Fismes et que nos troupes battent en retraite.

 

28 mai :

À 4 heures du matin, nous partons vers l'avant jusqu'à Fère-en-Tardenois. Une fois arrivés, la division était déjà en ligne, mais il nous fallut reculer sous la poussée boche, nous descendons jusqu'au Charmel où commence le pillage par les troupes françaises. Cela est bien triste pour les civils qui quittent leur demeure, emmenant leurs bestiaux. Le soir, nous reculons jusqu'à Jaulgonne où nous passons la nuit. Les boches avancent toujours.

 

29 mai :

À la pointe du jour, tout le monde est sur pied car personne ne tient à rester aux mains des boches. De suite, nous nous précipitons dans les habitations où nous trouvons des vivres, du bon vin ce qui nous remet les idées en place. Vers 10 heures, un Fokker vient survoler le pays et mitraille les routes encombrées de troupes.

 

Aussi, un de nos chasseurs veillait et l'ayant pris en chasse, ils rasèrent les toits, et le fritz fut touché par une balle en plein moteur, il réussit à atterrir. À 11 heures, l'on entendit le grondement des canons boches qui tiraient sur la Marne, alors, pris de panique tout le monde se sauva dans la direction du pont suspendu, le seul existant pour le passage des troupes de la division. Avec notre camionnette, nous réussîmes à nous frayer un passage à travers la cavalerie, l'artillerie et l'infanterie, nous passâmes le pont, salués par un feu de mitrailleuses. Sur la droite, dans la gare de Verneuil, les boches ont incendié un train remplit de bidons d'essence, ce qui produit une fumée et des flammes qui commencent à lécher les murs du village. Il y avait environ cinq minutes que nous venions de passer le pont suspendu de Jaulgonne que le 6ème Génie le fit sauter. Ordre qui fut mal interprété et nous valut la perte d'un bataillon du 2ème d'Infanterie qui fut prisonnier. Sur la rive sud de la Marne, nous coupons les lignes et nous repartons vers l’arrière pour prendre position car nous venons de recevoir l'ordre de ne plus reculer, la Marne étant la seule limite nous séparant des boches. À Crézancy, nous nous ravitaillons et mettons à sac la cave du Grand hôtel. Comme par hasard, un obus tombe dans la rue, ce qui nous rappelle à  la réalité et nous fait rentrer à l'abri. En fin de journée, nous construisons une ligne de Crézancy à la ferme Janvier où nous arrivons à 10 heures

 

30 mai :

Après une bonne nuit, nous reconstruisons de nouvelles lignes pour organiser ce secteur car l'avance des boches est terminée.

 

31 mai :

Le soir, nous relions la division de cavalerie qui se trouve à notre droite, rentrant à minuit, nous sommes bien content de nous reposer.

 

1er juin :

Je quitte la ferme Janvier pour aller à Celles-lès-Condé où se trouve le détachement.

 

2 et 3 juin :

Journées assez calmes, constructions dans le village, liaisons des services de la D.I.

 

5 juin :

De Celles-les-Condé, je monte en secteur à la ferme Janvier à l ' I.D 20.

 

15 juin :

Dans ce petit coin, nous y sommes très bien logés dans la ferme, nous avons installé une tonnelle dans le bois. De temps à autre, les boches donnent de leurs nouvelles en nous envoyant des " maous ", des obus de gros calibre.

 

27 juin :

Je quitte l’I.D 20 pour retourner à Celles, d'où nous partons le soir en camionnette pour aller jusqu'à Artonges, nord de Montmirail.

 

29 juin :

Embarquement en camions pour aller au grand repos à Dammartin-en-Goële, 30 km nord de Paris. Pour y arriver, nous sommes passés par la Ferté-sous-Jouarre et Meaux.

 

30 juin :

Jolie petite ville.  D’où nous sommes cantonnés, l'on aperçoit la tour Eiffel et impossible de se sauver, ce qui nous donne le cafard de ne pouvoir sauter jusqu'à Paname où le bonheur m'appelle.

 

1er juillet :

Je vais à Saint-Mard, détaché au 25ème d'Infanterie comme réparateur.

 

6 juillet :

Je reviens à Dammartin et le soir, nous embarquons en camions passant par Meaux, Coulommiers et Montmirail, nous arrivons à Orbais-l'Abbaye, 15 km de cette dernière ville. Coquette petite ville où nous sommes venus en réserve de Corps, car l'on s'attend à une grande attaque des boches.

 

10 juillet :

À 8 heures, nous sommes alertés, nous nous rendons dans le parc du château de Compigny où se trouvent l' E.M et la D.I.

 

11 juillet :

Après avoir passé une nuit à la belle étoile, nous revenons à Orbais.

 

 

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14 juillet :

Dans la journée, nous avons fêté le retour des permissionnaires et à l'occasion de la fête nationale, nous avons vidé quelques bouteilles. A minuit, nous sommes réveillés par un fort roulement de canon comme jamais nous n'en avions entendu. Sur le pays, il tombe des 105 qui arrivent très rapidement. Des cris dans la nuit, les civils s'enfuient dans toutes les directions, vu le danger. Immédiatement, nous retournons au château de Compigny.

 

15 juillet :

À 2 h du matin, ce n'est qu'un enfer, l'on croirait que le ciel est en feu. Tout rouge, lueur sinistre qui nous effraie un moment, mais dont nous comprenons la raison, les boches ont attaqué et passent la Marne. Est-ce une nouvelle retraite ? Il est à souhaiter que non, et  que nos divisions réussiront à les arrêter. En pleine nuit, nous partons en construction de lignes pour relier le château à un poste installé provisoirement sur la route de Montmirail et remplaçant la poste civile d'Orbais. A l'entrée de ce village où nous sommes bien forcés de passer, nous sommes salués par une rafale de deux obus qui tombent à moins de 100 mètres. Vite, nous nous précipitons où venait de passer ces zins-zins, la terre projetée en l'air nous retombe dessus ; Voulant courir, nous nous enchevêtrons dans les lignes télégraphiques coupées par les éclats et retombées dans la rue, encore une petite émotion. Après une autre rafale, nous arrivons enfin à un carrefour où nous devons installer un poste. Je pars avec quelques camarades et, à travers champs, nous déroulons nos câbles. Toute la journée, nous reconstruisons le réseau d'Orbais en passant aux alentours du pays. L'après-midi, je fais un bond jusqu'à Orbais, passant entre deux rafales, j'arrive enfin au cantonnement. Aussi quelles émotions, j'ai éprouvé en traversant ce pays, personne dans les rues, tout le monde s'est sauvé, par endroits quelques cadavres, des arbres fauchés, des maisons éventrées, quel changement en quelques heures. Hier c'était la joie, aujourd’hui la mort a passé sur ce pays. Le soir, vers 6 heures, c'est enfin arrêté. Le bombardement a duré 15 h à raison d'un obus toutes les deux minutes.

 

16 juillet :

À 3 h du matin,  je monte en secteur à l' I.D 20 qui se trouve à la Grange Gaucher, sud-ouest d'Igny-le-Jard. A midi, attaque de la division qui obtient quelques succès. Le soir, je reviens à Compigny où nous couchons dans les bois sous la toile de tente.

 

18 juillet :

Je reviens à Orbais.

 

19 juillet :

Nous relevons tout le câble qui traîne dans les rues.

 

20 juillet :

Nous quittons ce pays pour aller plus à droite à la division à Saint-Martin-d'Abloy. Je suis détaché à l' I.D et la rejoins à la ferme d'Enghien, qui se trouve au milieu des bois.

 

22 juillet :

Nous quittons cette ferme pour remonter plus au nord, car les boches reculent. Nous allons à la maison du Garde, petite maison de rendez-vous pour chasseurs, qui se trouve à l'orée du bois.

 

27 juillet :

Vers 10 h du matin, nous repartons pour aller à Port-à-Binson, qui se trouve sur le bord de Marne, on voit que les boches sont passés par-là, car ils ont fait bien des ravages. Près de la Marne, le Génie prépare des tonneaux, pour faire de nouvelles passerelles. Nous traversons la Marne large à cet endroit de 80 mètres. Une légère passerelle de fortune ayant servi à l'infanterie, nous l'employâmes pour passer sur l'autre rive et dérouler nos fils, car nous construisons une ligne qui doit relier le pays que nous venions de quitter à Vandières, qui se trouve un peu vers la gauche.  L' E.M. s'installe au château et nous couchons dans les caves.

 

28 juillet :

Construction de ligne de l'I.D. jusqu'à la tour d'Anthenay où se trouve le colonel du 25ème d'Infanterie. En arrivant sur les crêtes, nous sommes salués par les feux des mitrailleuses boches qui se trouvent à environ 300 mètres. Quelques "valdingues" plat-ventre et nous arrivons à la tour pour êtres salués par une rafale de 88 de marine. Dans l'après-midi, ils nous font sortir pour aller réparer notre ligne qui a été coupée, aussi les boches nous poursuivent à coups de 77, nous en sommes quittes pour attraper quelques suées. Le soir, nous quittons la tour pour revenir à l'I.D.

 

31 juillet :

Je suis relevé de l'I.D. pour retourner au détachement.

 

1er août :

Journée de repos bien méritée.

 

2 août :

Dans la nuit, les boches ont attaqué la division et ensuite se sont sauvés, ce qui leur permit de battre en retraite plus facilement. Nous construisons des lignes de Vandières à Olizy et Berthenay. Le soir, retour au détachement.

 

3 août :

Nous repartons pour aller jusqu'à Lagery où nous arrivons quelques heures après les boches, qui ont détruit tout sur leur passage, incendié les maisons et amorcé quantité d'obus.

 

4 août :

Nous installons un central, car maintenant les boches sont retranchés sur la Vesle et certainement, ils résisteront.

 

7 août :

De temps à autre, les boches marmitent les carrefours des routes conduisant aux lignes.

 

9 août :

Cette nuit, des avions sont venus lancer des bombes et mitrailler les routes.

 

10 août :

La nuit dernière, ils ont encore marmité le pays et pour plus de sécurité, nous sommes allés coucher dans un boyau au milieu de la plaine.

 

25 août :

Nous quittons Lagery pour aller au repos à Igny-le-Jard.

 

30 août :

Je pars en perme de 10 jours. Je vais m'embarquer à Dormans ; pays bien détruit.

 

 

 

- Dormans, août 1918, tel que l’a traversé Marcel ERNIS -

 

 

 

 

 

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Si ce récit vous a accroché, nous vous proposons d’aller lire celui qu’a posté Daneck sur son blog.

 

http://daneck.blogspot.com/2007/09/gast … ns-la.html

 

 

Ce n’est pas une retranscription, mais le résumé du parcours d’un autre poilu, Gaston COURTY, du 136e RI.

Un texte bien écrit qui devrait, lui aussi, vous accrocher. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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