Mémorial Dormans

 Le rempart contre l’oubli, sur Internet

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Sélection de textes

 

 

Zone de Texte: La ballade de Florentin Prunier

 

 

 

Poème de G. Duhamel, académicien (1884 - 1966).

Médecin militaire durant la première guerre mondiale.

 

 

Il a résisté pendant vingt longs jours

Et sa mère était à côté de lui

 

Il a résisté, Florentin Prunier

Car sa mère ne veut pas qu'il meure

 

Dès qu'elle a connu qu'il était blessé

Elle est venue, du fond de la vieille province

 

Elle a traversé le pays tonnant

Où l'immense armée grouille dans la boue

 

Son visage est dur, sous la coiffe raide

Elle n'a peur de rien ni de personne

 

Elle emporte un panier, avec douze pommes

Et du beurre frais dans un petit pot

 

 

 

Toute la journée elle reste assise

Près de la couchette où meurt Florentin

 

Elle arrive à l'heure où l'on fait du feu

Et reste jusqu'à l'heure où Florentin délire

 

Elle sort un peu quand on dit : « Sortez »

Et qu'on va panser la pauvre poitrine

 

Elle resterait s'il fallait rester

Elle est femme à voir la plaie de son fils

 

Ne lui faut-il pas entendre les cris

Pendant qu'elle attend,

Les souliers dans l'eau ?

 

Elle est près du lit comme un chien de garde

On ne la voit ni manger ni boire

 

Florentin non plus ne sait plus manger

Le beurre a jauni dans son petit pot.

 

 

 

Ses mains tourmentées comme des racines

Étreignent la main maigre de son fils

 

Elle contemple avec obstination

Le visage blanc où la sueur ruisselle

 

Elle voit le cou, tout tendu de cordes

Où l'air, en passant, fait un bruit mouillé

 

Elle voit tout ça de son œil ardent

Sec et dur, comme la cassure d'un silex

 

Elle regarde et ne se plaint jamais :

C'est sa façon, comme ça, d'être mère

 

Il dit : « Voilà la toux qui prend mes forces »

Elle répond : « Tu sais, je suis là ».

 

Il dit : « J’ai idée que je vas passer »

Mais elle : « Non ! Je ne veux pas, mon gars »

 

 

 

Il a résisté pendant vingt longs jours

Et sa mère était à côté de lui

 

Comme un vieux nageur qui va dans la mer

En soutenant sur l'eau son faible enfant

 

Or un matin, comme elle était bien lasse

De ses vingt nuits passées on ne sait où

 

Elle a laissé aller un peu sa tête

Elle a dormi un tout petit moment

 

Eh bien Florentin Prunier est mort bien vite

Et sans bruit, pour ne pas la réveiller

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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