Le rempart
contre l’oubli, sur Internet
1914 >> 1918 >> 1945 >> 2009
Sélection de textes
IN MEMORIAM « J'aurais voulu, avant de
mourir, embrasser tous les canonniers de ma batterie. » Tel fut le souhait recueilli par notre camarade Émile Guyard,
brancardier de la 8e batterie, aumônier du 3e
groupe, le l5 juillet 1918, alors qu'il portait secours à son
commandant de batterie grièvement blessé. Dès le 9 juillet, le 10e
R.A.C. avait reçu l'ordre de prendre position sur le front Igny-Comblizy,
région de Dormans, avec la double mission de soutenir la 51e
D.I. chargée d'interdire le passage de la Marne et d'appuyer les
fantassins de notre division, la 20e D.I., une batterie de chaque
groupe étant en position avancée dans les fils de fer des
points de résistance. Le 15 juillet, à partir de 0 h
15, les combats atteignirent au paroxysme, les tirs de l'artillerie allemande
s'exerçant plus particulièrement sur nos pièces
avancées, anéantissant leur personnel, comme le relate l'historique
du régiment en mentionnant cette citation, à l'ordre de la
Division, de la 3e pièce de la 2e batterie : « A assuré sans
interruption le barrage à vue sur l'ennemi, sous un tir violent et
précis d'obus explosifs et toxiques qui tua successivement trois chefs
de pièce et blessa grièvement cinq servants sur
six. » Ce jour là, je capitaine Picot,
commandant provisoirement le 3e groupe, partageait le P.C. du
colonel Bühler, commandant le 47e RI, installé
à la ferme du Hallais, au sud d’Igny-le-Jard, oeuvrant à réorganiser
ses liaisons durement éprouvées, à choisir de nouveaux
emplacements de batterie en arrière de la deuxième position,
à remettre en ordre les éléments de la 51e
D.I. ayant pu sauver leurs canons et se repliant sous la poussée
allemande. Cette ferme, située en terrain
découvert, avait attiré 1’attention des observateurs
ennemis ; après un bref réglage, vers 18 heures, une salve
de 77 tomba en plein sur le poste de commandement. Le tir d'efficacité ayant suivi,
plusieurs hommes furent tués. Parmi les blessés, on releva le
colonel Bühler et le capitaine Picot. Transporté au poste de secours,
le capitaine, se sachant mortellement atteint, montra l’ardent esprit
de sacrifice que lui connurent tous ceux qui l’approchèrent. Au médecin-chef du 47e
R.I., il dit : « J’ai fait mon
possible, bien peu de choses, hélas ! pour mon Pays ; nous
avions pourtant bien préparé ce qu’il fallait pour briser
l’attaque allemande : la Providence ne m’a pas permis de le
faire, d’autres le feront. J’espère que mon sacrifice ne
sera pas inutile, qu’il hâtera le jour de cette victoire que je
ne verrai pas, mais qu’importe ! Vous direz aux miens que je meurs
pour la France en pensant à eux. » Au colonel de Bourgues, qui lui avait
annoncé la mort de ce valeureux officier, 1’affiction des
canonniers et des gradés, sa courageuse compagne répondra : « Il est tombé
à l'aube de la victoire qu’il appelait de tous ses vœux, a
laquelle il travaillait de toutes ses forces ; puisse mon sacrifice uni au
sien et aux milliers si généreusement consentis, faire une
grande France, dans 1a victoire et dans la paix. » Son père, Émile Picot, de
l’Institut, écrira à notre colonel : « J’ai encore trois
fils sous les drapeaux, mon malheur ne m’empêchera pas de crier,
avec eux : Vive la France ! » L’Étoile des Braves, avec
rosette, suprême récompense posthume couronnant de nombreuses
citations, dont trois à l'ordre de l'Armée, ayant
été remise, au printemps 1919, aux Invalides, par le général
Pillot, à l'aîné de ses jeunes enfants, la maman, remerciant
notre colonel, ajoutera : « La paix victorieuse est
signée, puisse-t-elle être digne de tous les sacrifices de nos
glorieux morts. Puisse la France devenir, telle qu'ils l'ont
rêvée, libre, belle, prospère, dans l'ordre et le
travail. » Cette noblesse de sentiments ravivera
chez les chefs de section, survivants, formés par le capitaine Picot,
le souvenir de sa bonté. Quand sa haute silhouette se penchait
sur les planchettes et les plans directeurs où nous relevions les
coordonnées avant de commander les tirs, l'infinie douceur avec
laquelle il nous faisait ses remarques, nous donnait l'impression d'entendre
de paternels conseils, alors que nous pataugions, dans la neige, sur les
Hauts-de-Meuse, à quelques centaines de mètres de l'ennemi sur
qui nous exercions notre fraîche instruction. Vous tous, anciens de la 8e,
qu'il eût voulu revoir, remercier, embrasser, avant de succomber
à ses blessures, je vous associe à l'hommage rendu à
l'exemplaire commandant de batterie qui avait fait siens les préceptes
d'Ernest Psichari : « J'ai attesté ce
à quoi j’ai cru, par mes paroles et par ma mort. » Léon Clerc |
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