RempartMémorial Dormans

 Le rempart contre l’oubli, sur Internet

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Sélection de textes

 

Zone de Texte: CHAMPVOISY   1941 – 1944
de l’occupation à la libération

 

Ce texte est la suite de De la drôle de guerre à l’exode

Un grand merci à Valérie pour les  saisies.

 

 

 

En 1941, Auguste HÉRY habite à Champvoisy, canton de Dormans (51). Il va sur ses 17 ans et travaille depuis déjà deux ans comme ouvrier agricole.

 

Il se souvient aujourd’hui de quelques moments de cette période. Trois ‘tableaux’, qui l’ont fait passer de l’adolescent à l’adulte.

EgliseChampvoisy

 

 

 

 

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Insouciance   2

Prise de conscience. 4

Résistance. 5


 

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L’église de Champvoisy, dessin de Roland IROLLA                           

 

 

 

 

 

Insouciance

 

 

 

CHAMPVOISY, petite commune de 200 habitants, est située en dehors des grands axes et aux confins des limites administratives du département de la Marne. Grâce à cette situation géographique particulière, jusqu’en 1943, on y vivait sous l’occupation sans vraiment la subir.

Les restrictions alimentaires et vestimentaires ne se faisaient par trop sentir, d’autant que, dans un village essentiellement agricole, le système « D » était largement utilisé. Le blé, le beurre, les volailles, se transformaient par le troc en matières indispensables. Nombre de citadins y trouvaient ainsi de quoi augmenter les rations trop faibles attribuées avec les cartes alimentaires.

 

Pas de soldats allemands à proximité, donc. Les plus proches étaient cantonnés à  DORMANS, à dix kilomètres de là, et ils n’étaient par nombreux. Avec eux, un adjudant de la feld-gendarmerie, dont on supposait qu’il fermait les yeux en toute connaissance de cause, tout comme les gendarmes de Dormans, sur les réjouissances clandestines des jeunes du pays.

A cette période, les bals clandestins étaient interdits par la loi ... mais ils n’étaient pas pour autant inexistants.

À CHAMPVOISY, l’origine en remontait à 1941 quand un accordéoniste aveugle était venu se réfugier dans le village. Bientôt, de bouche à oreille, sans autre publicité, le village était devenu le rendez-vous de la jeunesse des environs. Hangars et granges faisaient office de ‘dancing’. S’il arrivait parfois que les autorités approchent, c’est avec un esprit potache que l’assemblée d’un soir s’éparpillait en tous sens, emmenant joyeusement notre animateur malvoyant, et qu’elle réapparaissait comme un seul homme une fois l’alerte passée. 

 

L’insouciance de la jeunesse et les facilités relatives de la vie au village ne faisaient toutefois pas oublier l’absence des onze soldats prisonniers en Allemagne, qui ne rentreront que progressivement après l’Armistice, et même début juillet 1945 pour certains.

Pour pallier cette absence qui s’était durement fait sentir pour les travaux agricoles, les adolescents s’étaient mis au travail sitôt sortis de l’école. Il était fréquent de voir les responsabilités d’une attelée de deux, voire trois chevaux ou de quatre bœufs confiées à un jeune, fier de la rapide promotion qu’il n’aurait pas eue si tôt en d’autres temps.

Ainsi, dans une période aussi sombre, la jeunesse du village trouvait sa satisfaction autant dans les moments de détente que dans le travail.

 

 

 

 

 Prise de conscience

 

 

 

En août 1943, la réquisition pour le service du travail obligatoire allait désorienter le village mais aussi accélérer cette prise de responsabilité naissante. Trois des leurs étaient emmenés en Allemagne (Maurice LHOMME, Roger LHOMME et Raymond MARY), faisant prendre conscience à chacun que la vis de l’étau se resserrait sur une certaine liberté dont CHAMPVOISY semblait jouir.

 

C’est peut-être ce changement qui a conduit CHAMPVOISY à entrer dans la clandestinité, non plus pour des réjouissances, mais pour une cause plus altruiste.

 

Dans ce mois d’août, deux familles juives venaient se réfugier au village. En raison de leur confession, elles échappaient ainsi aux rafles de Paris.

Une des familles – le père, la mère et trois enfants – fut installée au lieu-dit « La Madeleine » dans une maison appartenant à Ernest MAURICE et l’autre, de quatre personnes – le père, la mère et deux garçons – au lieu-dit « Les Grands Cours » chez Théotime HÉRY.

 

 

Dans le même temps, les premiers pas pour entrer en résistance allaient être franchis presque comme une évidence.

 

 

Alexis CORNILLE, ancien sous-officier combattant de 14-18 recrutait un groupe de volontaires composé de Gabriel BERTIN. Daniel BRISSOT, Léon CALVET, Marcel DÉPART, Auguste HÉRY, Daniel LETE et Henri RENAULT.

Un cantonnement qu’une certaine presse de l’époque aurait qualifié de « repère de brigands » mais qui, en réalité, était une hutte fortifiée et aménagée, avait été édifié dans les bois de la « Défense ». L’armement était individuel et composé d’armes récupérées à la débâcle de 1940 : mousquetons français, Mauser allemands et fusils de chasse ainsi que des munitions correspondantes que chacun détenait personnellement et dissimulait à proximité de chez lui.

En peu de temps, le groupe était opérationnel sous l’égide d’Alexis CORNILLE, mais pas question d’agir à hue et à dia. Ce groupe dépendait directement du Capitaine adjoint au Commandant départemental de la résistance, en l’occurrence Daniel BOUVRY. Cet homme, cadre au journal « l’Éclaireur de l’Est », de Reims (devenu par la suite le journal l’UNION), avait des attaches familiales à CHAMPVOISY puisque petit-neveu d’Arsène CHOPIN, ancien maire du village.

Bien que la confiance régnait dans le village, rien ne devait laisser deviner l’organisation du groupe. Il était entendu qu’aucune manifestation, aucune initiative ne devait avoir lieu ou être prise en dehors des ordres supérieurs. Parce que des événements impérieux le décidaient, chacun passait de l’insouciance à l’obéissance, de la désinvolture à la coordination.

 

En mars 1944, la descente de policiers français et allemands en civil, accompagnés de soldats allemands pour arrêter les juifs réfugiés allait justement confirmer le bien-fondé de ces consignes, tant en ce qui concerne la confiance qu’en ce qui concerne les initiatives !

Une telle intervention ne pouvait que réveiller la révolte de ce groupe mais que serait-il advenu si l’un ou plusieurs des membres étaient intervenus de front pour s’opposer aux arrestations ?

 

Cette opération de police, sur CHAMPVOISY, s’était soldée par l’arrestation de sept des neuf clandestins dans les murs de la commune. 

Les sept victimes ne revinrent jamais. Grâce toutefois à l’aide qui avait pu leur être apportée discrètement, le père et l’un des fils réfugiés chez Théotime HÉRY avaient pu échapper aux arrestations et eurent la vie sauve.

Dans le même temps, le maire Albert GUIBORAT, Théotime et Louise HÉRY étaient emmenés à ÉPERNAY mais relâchés le lendemain.

 

 

 

 

Résistance

 

 

 

 

 

Été 1944. La retraite des allemands par les grands axes routiers et l’avancée rapide des troupes américaines semblaient devoir vouer le groupe de résistants à sa dissolution et chacun de ses membres à mettre fin à son action clandestine sans combattre. Les derniers événements devaient en décider autrement.

 

Le 28 août, les américains arrivaient à DORMANS et franchissaient la Marne pour se diriger sur REIMS par VINCELLES, VERNEUIL et PASSY-GRIGNY tandis que d’autres passaient par RONCHERES et GOUSSANCOURT. Tout cela presque sans combat, exceptée la résistance d’un char allemand qui, des taillis au dessus de VINCELLES, anéantissait plusieurs blindés américains à la sortie de DORMANS.

(en savoir plus, lien en anglais)

 

Seules les personnes du village qui étaient allées soit à DORMANS, soit en bordure de la route de REIMS ou de la route de GOUSSANCOURT dans le bois Meunière, avaient pu voir l’armée de la Libération.

 

Mais le 30 Août vers dix heures, Yvonne FLEURY habitante du village, occupée à jardiner dans les champs près de la Chapelle-Hurlay, voyait trois soldats allemands armés venant de la direction des bois de "la Défense" se diriger vers les bois de la Gèvre. Elle courait aussitôt donner l’alerte à CHAMPVOISY où l’information se répandit comme une traînée de poudre.

 

Chacun des membres du groupe de résistance s’emparait de son arme dans l’instant et se lançait sur les traces des fugitifs qui, se sentant démasqués, empruntaient le ru de la moinerie pour dissimuler leur fuite. En escaladant la clôture de la pâture, l’un d’eux se blessait accidentellement avec son arme et fut stoppé dans sa retraite.

 

 

Par l’entremise de Madame Emma GROSDIDIER qui parlait couramment allemand et qui se trouvait dans la pâture à ce moment là, Auguste HÉRY arrivé en éclaireur réussissait à convaincre le blessé, un lieutenant, de se rendre après lui avoir donné l’assurance qu’il serait traité en prisonnier de guerre. Il n’avait conservé que deux grenades, l’une pour se défendre et la seconde pour se suicider car, confiait-il à son interlocutrice, les maquisards massacraient tous les soldats allemands qui tombaient entre leurs mains. Ses camarades avaient conservé son pistolet et avaient continué leur fuite en direction des bois de la Gèvre par le ravin.

Pendant que le blessé était transporté au village au domicile d’Alexis CORNILLE d’où une ambulance américaine vint le prendre en charge un peu plus tard, nous continuions notre poursuite, en suivant les traces jusqu’à l’entrée de la forêt.

 

D’après les renseignements recueillis auprès du prisonnier blessé, les deux hommes étaient bien sûr armés, et l’un d’une arme automatique. Cette menace, au sein d’une forêt, impliquait des moyens plus importants que ceux dont disposait le groupe. Rapidement, des renforts arrivaient de PASSY-GRIGNY avec, à leur tête, Lucien FEVRE.

 

C’est sous son commandement que vers 13 heures, une vingtaine d’hommes armés entamaient une poursuite organisée.

 

Les empreintes de bottes laissées sur le chemin trahissaient leur passage, mais la prudence retardait quand même l’avancée des poursuivants. La logique voulait que les fuyards ne sortent pas du bois avant la nuit. Et alors que le groupe atteignait la lisière du bois, à une centaine de mètres environ où se dresse actuellement le relais de télévision, les soldats allemands n’étaient toujours pas retrouvés et leurs traces se perdaient dans les grandes herbes. C’était donc dans la forêt qu’il allait falloir les débusquer. Les éclaireurs de pointe redoublaient d’attention, élargissant le champ des recherches.

 

Soudain, un coup de feu retentit. C’était Marcel DÉPART, du groupe de CHAMPVOISY, qui, en éclaireur venait de tomber sur les deux hommes qui se reposaient dans un fourré. Réveillé probablement par l’approche de l’éclaireur, l’un des soldats s’était relevé brusquement, la mitraillette en sautoir sur la poitrine, ce qui avait déclenché la prompte réaction de Marcel DÉPART, par un feu à bout portant.

 

Le bras sectionné par la balle, le militaire allemand, un capitaine d’artillerie s’affaissait sans réagir. Il tombait aussitôt sans connaissance et décédait quelques instants plus tard. Son compagnon de fuite, un caporal, se rendait sans résistance.

Le corps de l’officier et le prisonnier furent emmenés à VERNEUIL où ils furent pris en charge par les troupes américaines.

 

 

Le lendemain, CHAMPVOISY reprenait une activité normale. Chacun des membres du groupe s’en était retourné à son travail presque comme si rien ne s’était passé. Restait au fond de soi, pour récompense, la satisfaction du devoir accompli.

 

 

~  o O o  ~

 

 

 

En 1949, le Capitaine Daniel BOUVRY, membre de l’État-major FFI de la Marne adressait à Auguste HÉRY un certificat portant citation pour sa participation aux combats de la Gèvre le 30 Août 1944.

 

En 2014, ce sont semble-t-il ces événements qui ont conduit la présidence de la République à élever Auguste HÉRY au grade de chevalier de la Légion d'Honneur. Dans son discours de remerciements, ce dernier ne manquait pas d'y associer les noms cités ci-dessus, aussi méritants que lui, à ses yeux, de cet honneur.   

 

 

 

 

 

 

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