Insouciance
CHAMPVOISY, petite commune de 200 habitants, est
située en dehors des grands axes et aux confins des limites
administratives du département de la Marne. Grâce à cette
situation géographique particulière, jusqu’en 1943, on
y vivait sous l’occupation sans vraiment la subir.
Les restrictions alimentaires et vestimentaires ne
se faisaient par trop sentir, d’autant que, dans un village
essentiellement agricole, le système « D »
était largement utilisé. Le blé, le beurre, les
volailles, se transformaient par le troc en matières
indispensables. Nombre de citadins y trouvaient ainsi de quoi augmenter les
rations trop faibles attribuées avec les cartes alimentaires.
Pas de soldats allemands à
proximité, donc. Les plus proches étaient cantonnés
à DORMANS, à dix
kilomètres de là, et ils n’étaient par nombreux.
Avec eux, un adjudant de la feld-gendarmerie, dont on supposait qu’il
fermait les yeux en toute connaissance de cause, tout comme les gendarmes
de Dormans, sur les réjouissances clandestines des jeunes du pays.
A cette période, les bals clandestins
étaient interdits par la loi ... mais ils n’étaient pas
pour autant inexistants.
À CHAMPVOISY, l’origine en remontait
à 1941 quand un accordéoniste aveugle était venu se
réfugier dans le village. Bientôt, de bouche à oreille,
sans autre publicité, le village était devenu le rendez-vous
de la jeunesse des environs. Hangars et granges faisaient office de
‘dancing’. S’il arrivait parfois que les autorités
approchent, c’est avec un esprit potache que l’assemblée
d’un soir s’éparpillait en tous sens, emmenant
joyeusement notre animateur malvoyant, et qu’elle
réapparaissait comme un seul homme une fois l’alerte
passée.
L’insouciance de la jeunesse et les
facilités relatives de la vie au village ne faisaient toutefois pas
oublier l’absence des onze soldats prisonniers en Allemagne, qui ne
rentreront que progressivement après l’Armistice, et
même début juillet 1945 pour certains.
Pour pallier cette absence qui
s’était durement fait sentir pour les travaux agricoles, les
adolescents s’étaient mis au travail sitôt sortis de
l’école. Il était fréquent de voir les
responsabilités d’une attelée de deux, voire trois
chevaux ou de quatre bœufs confiées à un jeune, fier de
la rapide promotion qu’il n’aurait pas eue si tôt en
d’autres temps.
Ainsi, dans une période aussi sombre, la
jeunesse du village trouvait sa satisfaction autant dans les moments de
détente que dans le travail.
Prise de
conscience
En août 1943, la réquisition pour le
service du travail obligatoire allait désorienter le village mais
aussi accélérer cette prise de responsabilité
naissante. Trois des leurs étaient emmenés en Allemagne
(Maurice LHOMME, Roger LHOMME et Raymond MARY), faisant prendre conscience
à chacun que la vis de l’étau se resserrait sur une
certaine liberté dont CHAMPVOISY semblait jouir.
C’est peut-être ce changement qui a
conduit CHAMPVOISY à entrer dans la clandestinité, non plus
pour des réjouissances, mais pour une cause plus altruiste.
Dans ce mois d’août, deux familles
juives venaient se réfugier au village. En raison de leur
confession, elles échappaient ainsi aux rafles de Paris.
Une des familles – le père, la
mère et trois enfants – fut installée au lieu-dit
« La Madeleine » dans une maison appartenant à
Ernest MAURICE et l’autre, de quatre personnes – le
père, la mère et deux garçons – au lieu-dit
« Les Grands Cours » chez Théotime
HÉRY.
Dans le même temps, les premiers pas pour
entrer en résistance allaient être franchis presque comme une
évidence.
Alexis CORNILLE, ancien sous-officier combattant
de 14-18 recrutait un groupe de volontaires composé de Gabriel
BERTIN. Daniel BRISSOT, Léon CALVET, Marcel DÉPART, Auguste
HÉRY, Daniel LETE et Henri RENAULT.
Un cantonnement qu’une certaine presse de
l’époque aurait qualifié de « repère
de brigands » mais qui, en réalité, était
une hutte fortifiée et aménagée, avait
été édifié dans les bois de la
« Défense ». L’armement était
individuel et composé d’armes récupérées
à la débâcle de 1940 : mousquetons
français, Mauser allemands et fusils de chasse ainsi que des
munitions correspondantes que chacun détenait personnellement et
dissimulait à proximité de chez lui.
En peu de temps, le groupe était
opérationnel sous l’égide d’Alexis CORNILLE, mais
pas question d’agir à hue et à dia. Ce groupe
dépendait directement du Capitaine adjoint au Commandant
départemental de la résistance, en l’occurrence Daniel
BOUVRY. Cet homme, cadre au journal « l’Éclaireur
de l’Est », de Reims (devenu par la suite le journal
l’UNION), avait des attaches familiales à CHAMPVOISY puisque
petit-neveu d’Arsène CHOPIN, ancien maire du village.
Bien que la confiance régnait dans le
village, rien ne devait laisser deviner l’organisation du groupe. Il
était entendu qu’aucune manifestation, aucune initiative ne
devait avoir lieu ou être prise en dehors des ordres
supérieurs. Parce que des événements impérieux
le décidaient, chacun passait de l’insouciance à
l’obéissance, de la désinvolture à la
coordination.
En mars 1944, la descente de policiers
français et allemands en civil, accompagnés de soldats
allemands pour arrêter les juifs réfugiés allait
justement confirmer le bien-fondé de ces consignes, tant en ce qui
concerne la confiance qu’en ce qui concerne les initiatives !
Une telle intervention ne pouvait que
réveiller la révolte de ce groupe mais que serait-il advenu
si l’un ou plusieurs des membres étaient intervenus de front
pour s’opposer aux arrestations ?
Cette opération de police, sur CHAMPVOISY,
s’était soldée par l’arrestation de sept des neuf
clandestins dans les murs de la commune.
Les sept victimes ne revinrent jamais. Grâce
toutefois à l’aide qui avait pu leur être
apportée discrètement, le père et l’un des fils
réfugiés chez Théotime HÉRY avaient pu
échapper aux arrestations et eurent la vie sauve.
Dans le même temps, le maire Albert
GUIBORAT, Théotime et Louise HÉRY étaient
emmenés à ÉPERNAY mais relâchés le
lendemain.
Résistance
Été 1944. La retraite des allemands
par les grands axes routiers et l’avancée rapide des troupes
américaines semblaient devoir vouer le groupe de résistants
à sa dissolution et chacun de ses membres à mettre fin
à son action clandestine sans combattre. Les derniers
événements devaient en décider autrement.
Le 28 août, les américains arrivaient
à DORMANS et franchissaient la Marne pour se diriger sur REIMS par
VINCELLES, VERNEUIL et PASSY-GRIGNY tandis que d’autres passaient par
RONCHERES et GOUSSANCOURT. Tout cela presque sans combat, exceptée
la résistance d’un char allemand qui, des taillis au dessus de
VINCELLES, anéantissait plusieurs blindés américains
à la sortie de DORMANS.
(en savoir plus, lien en anglais)
Seules les personnes du village qui étaient
allées soit à DORMANS, soit en bordure de la route de REIMS
ou de la route de GOUSSANCOURT dans le
bois Meunière, avaient pu voir l’armée de la
Libération.
Mais le 30 Août vers dix heures, Yvonne
FLEURY habitante du village, occupée à jardiner dans les
champs près de la Chapelle-Hurlay, voyait trois soldats allemands
armés venant de la direction des bois de "la Défense"
se diriger vers les bois de la Gèvre. Elle courait aussitôt
donner l’alerte à CHAMPVOISY où l’information se
répandit comme une traînée de poudre.
Chacun des membres du groupe de résistance
s’emparait de son arme dans l’instant et se lançait sur
les traces des fugitifs qui, se sentant démasqués,
empruntaient le ru de la moinerie pour
dissimuler leur fuite. En escaladant la clôture de la pâture,
l’un d’eux se blessait accidentellement avec son arme et fut
stoppé dans sa retraite.
Par l’entremise de Madame Emma GROSDIDIER
qui parlait couramment allemand et qui se trouvait dans la pâture
à ce moment là, Auguste HÉRY arrivé en
éclaireur réussissait à convaincre le blessé,
un lieutenant, de se rendre après lui avoir donné
l’assurance qu’il serait traité en prisonnier de guerre.
Il n’avait conservé que deux grenades, l’une pour se
défendre et la seconde pour se suicider car, confiait-il à
son interlocutrice, les maquisards massacraient tous les soldats allemands
qui tombaient entre leurs mains. Ses camarades avaient conservé son
pistolet et avaient continué leur fuite en direction des bois de la Gèvre
par le ravin.
Pendant que le blessé était
transporté au village au domicile d’Alexis CORNILLE
d’où une ambulance américaine vint le prendre en charge
un peu plus tard, nous continuions notre poursuite, en suivant les traces
jusqu’à l’entrée de la forêt.
D’après les renseignements recueillis
auprès du prisonnier blessé, les deux hommes étaient
bien sûr armés, et l’un d’une arme automatique.
Cette menace, au sein d’une forêt, impliquait des moyens plus
importants que ceux dont disposait le groupe. Rapidement, des renforts arrivaient
de PASSY-GRIGNY avec, à leur tête, Lucien FEVRE.
C’est sous son commandement que vers 13
heures, une vingtaine d’hommes armés entamaient une poursuite
organisée.
Les empreintes de bottes laissées sur le
chemin trahissaient leur passage, mais la prudence retardait quand
même l’avancée des poursuivants. La logique voulait que
les fuyards ne sortent pas du bois avant la nuit. Et alors que le groupe
atteignait la lisière du bois, à une centaine de
mètres environ où se dresse actuellement le relais de
télévision, les soldats allemands n’étaient
toujours pas retrouvés et leurs traces se perdaient dans les grandes
herbes. C’était donc dans la forêt qu’il allait
falloir les débusquer. Les éclaireurs de pointe redoublaient
d’attention, élargissant le champ des recherches.
Soudain, un coup de feu retentit.
C’était Marcel DÉPART, du groupe de CHAMPVOISY, qui, en
éclaireur venait de tomber sur les deux hommes qui se reposaient
dans un fourré. Réveillé probablement par l’approche
de l’éclaireur, l’un des soldats s’était relevé
brusquement, la mitraillette en sautoir sur la poitrine, ce qui avait
déclenché la prompte réaction de Marcel DÉPART,
par un feu à bout portant.
Le bras sectionné par la balle, le
militaire allemand, un capitaine d’artillerie s’affaissait sans
réagir. Il tombait aussitôt sans connaissance et
décédait quelques instants plus tard. Son compagnon de fuite,
un caporal, se rendait sans résistance.
Le corps de l’officier et le prisonnier
furent emmenés à VERNEUIL où ils furent pris en charge
par les troupes américaines.
Le lendemain, CHAMPVOISY reprenait une
activité normale. Chacun des membres du groupe s’en
était retourné à son travail presque comme si rien ne
s’était passé. Restait au fond de soi, pour récompense,
la satisfaction du devoir accompli.
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En 1949,
le Capitaine Daniel BOUVRY, membre de l’État-major FFI de la
Marne adressait à Auguste HÉRY un certificat portant citation
pour sa participation aux combats de la Gèvre le 30 Août 1944.
En 2014,
ce sont semble-t-il ces événements qui ont conduit la
présidence de la République à élever Auguste
HÉRY au grade de chevalier de la Légion d'Honneur. Dans son
discours de remerciements, ce dernier ne manquait pas d'y associer les noms
cités ci-dessus, aussi méritants que lui, à ses yeux,
de cet honneur.
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